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#Fake news, #Information, #Médias

Le coût de l’information favorise les fake news

Julien Grandjean, Université de Lorraine

Les fake news, le nouveau grand combat des Français ? Selon un article du Figaro publié le 11 janvier dernier, 79 % des français seraient favorables à une loi sur les fake news sur Internet durant les périodes électorales, telle que proposée par le président Macron durant ses vœux à la presse.

Mais pour combattre les fake news, il faut d’abord s’interroger sur les raisons de leur existence et agir à ce niveau. Nous allons voir qu’une cause possible de l’existence de fake news est liée à l’imperfection de l’information et, par là même, aux coûts de l’acquisition d’informations vérifiées.

L’existence d’asymétrie d’information

Un élément central dans nombre de théories économiques est la présence d’asymétrie d’information, si bien que le prix de la banque de Suède en 2001 a été remis à trois économistes pour leurs travaux sur le sujet. Ce terme renvoie au fait que, lors d’un échange de quelque nature qu’il soit, certains individus disposent d’informations importantes que d’autres individus ne possèdent pas.

Un exemple connu est celui donné par l’économiste George Akerlof dans un très célèbre article publié en 1970, intitulé Markets for Lemons.

Il prend l’exemple du marché automobile d’occasion. Au cœur de ce marché, certains vendeurs proposent des véhicules d’occasion tout à fait corrects et d’autres proposent des véhicules que l’on peut qualifier de véritables guimbardes, des « lemons ». Les vendeurs de ces derniers ne disent pas clairement à leurs clients que leurs véhicules présentent des problèmes. On parle alors de vices cachés.

Explication (en anglais) de la théorie d’Akerlof.

Dans cette situation, l’information est asymétrique : le vendeur connaît le mauvais état de ses véhicules alors que l’acheteur pense avoir affaire à un véhicule tout à fait correct.

Pourquoi l’information n’est pas parfaite ?

L’accès de l’ensemble des individus à une information parfaite est une hypothèse difficilement atteignable. En effet, l’acquisition d’information n’est pas aisée. Elle est coûteuse.

Par coût, les économistes n’entendent pas uniquement les coûts directs ou comptables, c’est-à-dire en termes de sommes d’argent. Les économistes parlent de coût d’opportunité. Le coût d’opportunité renvoie à la valeur du renoncement que l’on consent en effectuant une action.

Prenons un exemple simple pour l’illustrer : un étudiant diplômé d’une licence se questionne sur une poursuite d’études en master. Le coût direct lié à cette décision serait la somme des dépenses liées à la poursuite d’études (inscription à l’université, hébergement, transports, etc.). Le coût d’opportunité de cette décision correspondrait à ce coût direct, augmenté du possible salaire que l’individu en question pourrait toucher s’il décidait de travailler au lieu de poursuivre ses études.

Ainsi, l’acquisition d’information (ou, dans l’exemple précédent, de connaissances intellectuelles), est coûteuse à la fois en termes comptables (enquêtes à réaliser, déplacements, abonnements divers, formation, etc.) et en termes d’opportunité. En effet, le temps passé à chercher des informations pourrait être mis à profit pour réaliser d’autres actions, possiblement rémunérées ou en tout cas apportant plus d’utilité à l’individu.

Le coût des informations favorise les fake news

Un média qui veut acquérir une information dans le but de la diffuser doit passer par plusieurs étapes coûteuses.

Il doit d’abord identifier une source qui lui fournira cette information. Il y a donc un coût de prospection : il faut contacter différents individus, surveiller les réseaux sociaux, analyser les médias concurrents, etc.

Il doit ensuite vérifier la qualité des sources de cette information. Il faut pour cela réaliser une enquête en amont. C’est l’action la plus coûteuse. Elle requiert l’embauche d’un journaliste ou d’un enquêteur, et il peut également être nécessaire d’organiser des déplacements, d’avoir recours à des expertises ou à des traductions.

Soulignons par ailleurs que tout ce travail doit être réalisé le plus rapidement possible, ou en tout cas plus vite que les médias concurrents. Il s’agit d’être parmi les premiers à révéler l’information, afin de bénéficier d’une plus grande diffusion, et donc de davantage de retombées en termes de revenus.

Dans ce contexte, les coûts d’opportunité sont bien plus importants que les simples coûts directs : pendant qu’un média mobilise ses équipes pour vérifier la véracité d’une information, il ne peut enquêter sur d’autres informations, qui sont pourtant aussi à la base de son revenu.

Pour faire face à cette situation, certains médias peuvent décider d’avoir recours à des fake news, dans le but de minimiser les coûts et le temps passé à chercher des informations diffusables car vérifiées. Ils peuvent le faire soit de façon directe (en inventant de toutes pièces une information), soit indirecte (en reprenant une information sans la vérifier). Ils sont ainsi en mesure de diffuser constamment de nouvelles informations…

Réduire les coûts de l’info par la vertu

La littérature économique – voir la revue de littérature dressée par Paul M. Healy et Krishna Palepu sur le sujet et la fin de l’article de Akerlof cité plus haut par exemple – proposent des solutions plus ou moins techniques afin de limiter les coûts liés à l’information, via l’application de mécanismes ou l’envoi de signaux divers. C’est notamment le rôle joué par les des labels, les systèmes de bonus/malus dans les contrats de type assurance, ou encore les périodes de garantie après-vente.

Mais une autre possibilité est envisageable, si l’on se tourne vers la philosophie, et plus particulièrement vers l’épistémologie, la branche de la discipline qui étudie l’acquisition des connaissances et donc des informations.

Dans un travail de 1980 le philosophe américain Ernest Sosa propose une forme d’épistémologie aisément transposable aux médias et à l’information. Celle-ci est aujourd’hui reprise dans les travaux du philosophe français Roger Pouivet.

D’après ces théories, lorsqu’un individu fait preuve de qualités intellectuelles telles que le courage intellectuel, l’impartialité ou l’équilibre réfléchi, c’est-à-dire l’équilibre entre laxisme et rigidité intellectuelle, il permet la transmission de la vérité, du savoir et de croyances fiables.

La notion de confiance devient alors centrale et la grande question à laquelle il faut répondre est en fait : pouvons-nous avoir confiance en telle personne, en ayant connaissance de ses vices et vertus ?

Si Émile Zola ne s’était pas emparé de l’affaire Dreyfus après de premières révélations faites par un contre-espion, le procès aurait-il été révisé ? L’Aurore du jeudi 13 janvier 1898.
Émile Zola/Wikipedia

Si l’on peut répondre à cette question, il devient dès lors un peu plus simple de juger de la probable véracité d’une information.

Utiliser les vertus pour limiter les fake news

Il suffirait donc désormais de s’interroger sur la personne (physique ou morale) qui transmet l’information dont on souhaite évaluer la véracité. Il faudrait alors se demander non pas comment tel informateur, tel utilisateur de Twitter, tel expert tenant un blog ou tel média concurrent s’est procuré l’information avant de la diffuser, mais plutôt s’il est digne de confiance.

Il est par exemple évident qu’une information postée ou reprise sur le compte Twitter officiel de l’Elysée sera plus fiable qu’une information postée ou reprise sur le compte Twitter du Gorafi.

En agissant de la sorte, l’ensemble des coûts liés à la vérification des sources pourrait de ce fait être fortement réduit, rendant l’utilisation de fake news non rationnelle.

Si certains médias agissent déjà de la sorte, d’autres semblent moins attachés à ce principe, à l’image du grand média américain Fox News, qui a repris en 2017 une fake news développée par un site parodique russe avant d’être partagée sur les réseaux sociaux et certains tabloïds.

Certes, cette approche présente des limites. Ainsi, un individu disposant a priori de vertus intellectuelles peut malgré tout être remis en question. Le récent cas d’Anne Peyroche, ex-directrice du CNRS, cible d’une enquête visant son intégrité scientifique illustre bien le problème : de par son statut notamment, on aurait pu croire cette responsable tout à fait vertueuse.

En définitive, il incombe aux diffuseurs d’informations d’envoyer des signaux forts vers leur auditoire, en développant leurs vertus intellectuelles et en les mettant en avant. Par exemple, en rendant publique « l’identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent », suivant le souhait d’Emmanuel Macron.

The ConversationParmi les vertus à mettre en avant figurerait notamment la rigueur intellectuelle, qui consisterait à ne reprendre que des informations fiables émanant de sources dans lesquelles ils auraient eux-mêmes confiance. Nous pourrions alors faire d’une pierre deux coups : limiter l’utilisation des fake news et augmenter le niveau d’information de l’ensemble des individus.

Julien Grandjean, Doctorant en Sciences économiques au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA) – Chargé d’enseignement à la faculté de Droit, Sciences économiques et Gestion de Nancy, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Photo : G Crescoli/Unsplash

Source : Lire sur The Conversation France
Écrit le 19/03/2018

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